Fusion de trous noirs : un code pour retracer l’histoire d’une vie stellaire

Depuis que les interféromètres LIGO-Virgo sont capables de détecter les fusions de deux trous noirs, les binaires de trous noirs comptent parmi les objets célestes qui intriguent le plus les scientifiques. Une équipe d’astronomes, dont des chercheurs des laboratoires AIM et APC, ont déterminé, grâce à plus de 60 000 simulations d’évolutions stellaires, les caractéristiques des progéniteurs à l’origine des fusions de binaires de trous noirs inférieurs à 10 masses solaires. Cette méthode novatrice fait l’objet d’une étude publiée dans Astronomy & Astrophysics.


Simulation numérique d’une fusion de la binaire de trous noirs GW150914 (© SXS)

Depuis 2015 et la détection des premières ondes gravitationnelles par la collaboration LIGO-Virgo, de nombreux autres événements ont été observés par ces interféromètres géants, ouvrant ainsi la voie à une astronomie gravitationnelle. Les astronomes disposent dès lors d’un nouveau messager pour étudier les phénomènes les plus violents de l’Univers à l’origine de ces ondes gravitationnelles, et ainsi en apprendre plus sur les lois et les origines de notre cosmos.

Naissance d’une binaire de trous noirs

Parmi ces phénomènes, les binaires de trous noirs, c’est-à-dire les systèmes de deux trous noirs en orbite l’un autour de l’autre, intéressent beaucoup les chercheurs. LIGO-Virgo a en effet déjà détecté à plusieurs reprises des ondes gravitationnelles émises lors des fusions de ces deux trous noirs, permettant de mieux comprendre ces événements catastrophiques. Mais de nombreuses incertitudes subsistent sur ces fusions de binaires de trous noirs, particulièrement sur leurs progéniteurs stellaires, c’est-à-dire sur les étoiles à l’origine de cette fusion.

L’histoire de ces progéniteurs commence ainsi : deux étoiles, souvent massives, naissent dans le même nuage interstellaire. Au cours de leur vie, ces étoiles échangent de la matière avant de finir, l’une après l’autre, par imploser en supernova, formant ainsi un duo de trous noirs. Ces deux trous noirs continuent alors de se rapprocher pendant quelques milliards d’années avant finalement de fusionner, émettant dès lors des ondes gravitationnelles qui pourront être captées par LIGO-Virgo. Une autre étape essentielle, mais méconnue à prendre en compte est la phase d’enveloppe commune, c’est-à-dire le moment relativement bref, mais néanmoins crucial de la vie du couple stellaire, au cours duquel une enveloppe de gaz immerge entièrement la binaire. Pendant cette phase d’enveloppe commune, un important transfert de masse a lieu entre les deux astres et l’orbite qui les sépare diminue considérablement.

Couple stellaire : une vie semée d’embûches

Mais si ce scénario est connu dans les grandes lignes, les conditions d’évolutions précises, qui amènent une binaire d’étoiles à se transformer en trous noirs destinés ensuite à fusionner entre eux, restent quant à elles indéterminées. L’histoire de ce couple stellaire est en effet semée d’embûche, et de nombreux paramètres entraîneront ou non leur fusion en trous noirs binaires : la masse initiale de chaque étoile, leur composition, leur séparation orbitale, ou encore leur vitesse de rotation. Le devenir du couple dépend également des propriétés de leur implosion en supernova, du moment auquel il traverse sa phase d’enveloppe commune et l’efficacité du transfert de masse qui a lieu au cours de cette étape. Identifier les progéniteurs stellaires de fusions de binaires de trous noirs constitue donc un sujet au cœur des préoccupations des astronomes.

Afin de lever le voile sur ce mystère, plusieurs études ont déjà été conduites afin de déterminer les paramètres des progéniteurs de fusions de binaires de trous noirs supermassifs (de 20 à 30 fois la masse solaire). La raison de cet engouement était que jusqu’à leur détection par LIGO-Virgo, l’existence de trous noirs aussi massifs semblait peu probable. Cependant, peu d’études se sont penchées sur les progéniteurs de fusions de binaires de trous noirs moins massifs (inférieurs à 10 masses solaires). Mais si ces trous noirs moins massifs sont plus faciles à former, leur fusion n’en est pas pour autant assurée, et une binaire peut très bien se briser si les bonnes conditions ne sont pas réunies.

Un code pour retracer l’histoire d’une vie stellaire

C’est justement le but que s’est donné une équipe d’astronome, incluant des chercheurs des laboratoires Astrophysique, Instrumentation, Modélisation (AIM, CNRS / CEA / Université de Paris) et Astroparticule & Cosmologie (APC, CNRS / Université de Paris) : déterminer les propriétés des progéniteurs de fusions de binaires de trous noirs de moins de 10 masses solaires. Pour ce faire, les chercheurs ont reproduit l’évolution de ces couples d’étoiles massives en ajustant les paramètres qui les intéressaient, puis ont comparé les résultats obtenus avec les mesures de LIGO-Virgo. Afin de reproduire l’évolution de ce couple d’étoiles, l’équipe a utilisé un code public, MESA, capable de simuler l’évolution hydrodynamique stellaire, ainsi que les interactions entre chaque étoile.

Il a ensuite fallu adapter ce code pour les besoins de ce problème, afin d’y inclure les étapes liées à la formation du trou noir, et au transfert de masse se produisant pendant la phase d’enveloppe commune. Ainsi, en partant d’un scénario d’évolution relativement classique (les deux étoiles naissent en même temps dans le même nuage interstellaire), les chercheurs ont réalisés plus de 60 000 simulations hydrodynamiques d’étoiles sur le cluster du laboratoire APC. Si ce nombre est modeste, comparé aux millions de simulations réalisées dans les modèles de synthèse de population habituellement utilisés, c’est parce que ces simulations d’évolution stellaire requièrent bien plus de temps de calcul. Cependant, elles se révèlent également bien plus précises.

Taux de détection de fusion de binaires de trous noirs (/an/Gpc3) en fonction de la distance (z), pour des compositions stellaires (Z) distinctes. La courbe noire représente la somme des taux de détection pour les différentes compositions stellaires. (Garcia et al. 2021)

60 000 simulations hydrodynamiques d’étoiles

Ces 60 000 simulations constituent donc autant de combinaisons de paramètres qui ont pu être testées et comparées aux taux attendus de détection de fusions de binaires de trous noirs dans cette gamme de masse. Cette étude a ainsi prédit, grâce à ces simulations, des taux de fusion compris entre 0,2 et 5,0/an/Gpc3 dans l’univers local, correspondant entre 1.2 et 3.3 détections par an de ce type de fusion de trous noirs de mass inférieure à 10 masses solaires, soit des taux comparables aux événements d’ondes gravitationnelles détectés par LIGO-Virgo lors des premières campagnes d’observation, permettant ainsi de dresser un profil plus précis de leurs progéniteurs stellaires.

Ainsi, ces progéniteurs sont fortement dépendants des masses initiales des étoiles, en tenant compte des vents stellaires, et leur séparation orbitale initiale se situe dans une gamme de 30 à 200 rayons solaires. Ils suivent une évolution similaire, avec un premier épisode de transfert de masse stable avant la formation du premier trou noir, puis un deuxième épisode de transfert de masse instable conduisant à une phase d’enveloppe commune qui sera ensuite éjectée. Cette phase d’enveloppe commune joue un rôle fondamental, car seuls les progéniteurs survivant à cette phase sont capables ensuite de fusionner en un temps inférieur à la durée de vie de l’univers.

Une nouvelle méthode d’identification des progéniteurs

Outre ces résultats très positifs, cette étude propose également une nouvelle méthode d’identification des progéniteurs des objets compacts, comme les trous noirs ou les étoiles à neutrons, à partir de simulations hydrodynamiques précises d’évolution stellaire, se rapprochant ainsi chaque jour d’une meilleure compréhension des origines des phénomènes gravitationnels parmi les plus violents de notre Univers.

Cette étude a été réalisée par des chercheurs issus des laboratoires français Astrophysique, Instrumentation, Modélisation (AIM, CNRS / CEA / Université de Paris) et Astroparticule & Cosmologie (APC, CNRS / Université de Paris). Ces travaux ont bénéficié du soutien financier du Laboratoire d’Excellence UnivEarthS (ANR-10-LABX-0023 et ANR-18-IDEX-0001). Les simulations ont été toutes effectuées sur le cluster d’APC.

Références :
Federico García, Adolfo Simaz Bunzel, Sylvain Chaty, Edward Porter, et Eric Chassande-Mottin. « Progenitors of low-mass binary black-hole mergers in the isolated binary evolution scenario ». Astronomy & Astrophysics, le 26 mai 2021
https://doi.org/10.1051/0004-6361/202038357

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