Observer les supernovæ : les détecteurs de neutrinos à la rescousse

La nouvelle étape de notre rétrospective scientifique du LabEx UnivEarthS nous emmène à découvrir comment les actuels et futurs détecteurs de neutrinos s’avéreront essentiels à l’observation multimessager des supernovae à effondrement de cœur. Un résultat obtenu, entre autre, par des chercheurs de l’APC.

Représentation d’artiste de la supernova à effondrement de cœur SN 1987A qui a eu lieu le 23 février 1987. © ESO/L. Calçada

Les supernovæ à effondrement de cœur sont des explosions très énergétiques produites lors de l’effondrement d’une étoile massive (dont la masse excède 10 masses solaires). Elles comptent parmi les phénomènes les plus violents et lumineux de notre ciel. Bien que les observations de supernovæ datent (au moins) de l’antiquité, et que les premiers modèles décrivant ces objets émergent à partir des années 1970, ce phénomène reste encore mal compris, et constitue donc un objet d’étude privilégié de l’astrophysique contemporaine. Ainsi, l’observation directe de supernovæ par des instruments modernes représente un enjeu considérable … mais également un défi de taille. En effet, on estime que ces supernovæ à effondrement de cœur ne surviennent qu’une à deux fois par siècle dans notre galaxie.

Afin de s’assurer de ne pas manquer la prochaine occurrence d’un tel phénomène, l’astronomie multimessager se révèle être une méthode inestimable. Comme cela a pu être démontré en 2017 avec la détection multimessager de la fusion binaire d’étoiles à neutrons GW170817, la combinaison des divers signaux émis par une source astrophysique, notamment les ondes gravitationnelles, les rayonnements électromagnétiques et les neutrinos, permet de dévoiler les mécanismes à l’origine des événements astrophysiques violents… y compris pour les supernovæ à effondrement de cœur.

En effet, ce type de supernova a la particularité de libérer environ 99 % de son énergie sous forme d’un énorme flux de neutrinos de faible énergie. Neutrinos qui, il se trouve, quittent le noyau stellaire plusieurs heures avant les photons. Par conséquent, l’observation de ce flux de neutrinos permettrait la reconstruction rapide et précise de sa direction d’origine avant l’arrivée du signal électromagnétique correspondant. Il serait dès lors possible de pointer les télescopes optiques dans la bonne région du ciel afin de s’assurer la détection de la lumière émise par la supernova.

Une méthode utilisée pour reconstruire la direction d’un signal est la triangulation. Celle-ci requiert l’utilisation de différents détecteurs, afin de mesurer les différences de délai d’arrivée du même signal entre les différents instruments. Dans le cas d’un flux de neutrinos émis par une supernova, la résolution temporelle sur ce délai d’arrivée se compte en millisecondes. Une excellente coordination entre les différents observatoires de neutrinos est donc absolument nécessaire. Mais est-ce que les capacités des télescopes de neutrinos (actuels ou en cours de construction) s’avèrent suffisantes pour déterminer l’origine d’une supernova à effondrement de cœur suite à la détection de son flux de neutrinos ?

C’est cette question qu’une équipe d’astrophysiciens, dont deux chercheurs de l’APC, ont voulu répondre. Pour cela, ils se sont concentrés sur les détecteurs de neutrinos IceCube, Hyper-Kamiokande, JUNO et KM3NeT/ARCA, dont ils ont simulé numérique le comportement. Ces détecteurs simulés ont par la suite été confrontés à un flux de neutrinos théorique, construit à partir d’un modèle simplifié de supernova.

Cette carte du ciel montre la zone de confiance (en couleur) obtenue par la triangulation entre les quatres détecteurs IceCube, KM3NeT/ARCA, Hyper-Kamiokande et JUNO (les carrés noirs) pour une supernova à effondrement de cœur située au centre galactique (point noir) © Colleiro et al., 2020

En utilisant différentes méthodes numériques, les chercheurs ont estimé que les détecteurs de neutrinos considérés seront capables de collecter suffisamment de neutrinos issus d’une supernova à effondrement de cœur, et cela, avec une résolution temporelle suffisante, afin d’en déduire la direction d’origine de cette dernière. Ainsi, pour une supernova théorique donnée, la combinaison d’IceCube, Hyper-Kamiokande, JUNO et KM3NeT/ARCA fournit avec 90 % de certitude une région du ciel dont le signal serait originaire mesurant 140 deg2. Soit une surface comparable à celle obtenu lors de la triangulation d’un signal d’onde gravitationnel par les détecteurs LIGO-VIRGO (pour comparaison la taille observable de la Grande Ourse est de 1280 deg2, tandis que celle du Soleil est seulement de 0,2 deg2).

Cela reste une grande surface du ciel à observer rapidement pour retrouver le signal optique correspondant, mais celle-ci peut être optimisée en la comparant aux catalogues d’étoiles connues qui peuvent potentiellement s’effondrer en supernova ou bien en organisant efficacement les observations de suivi avec des télescopes robotisés.

Ces méthodes d’analyses, ici testées par simulation numérique, seront à terme intégrées dans le système d’alerte SNEWS (SuperNova Early Warning System), permettant de prévenir rapidement l’ensemble de la communauté scientifique quand aura lieu la prochaine supernova dans notre galaxie. Il ne reste plus qu’à faire preuve de patience.

Références :

Coleiro, A., M. Colomer Molla, D. Dornic, M. Lincetto, et V. Kulikovskiy. “Combining Neutrino Experimental Light-Curves for Pointing to the next Galactic Core-Collapse Supernova”. The European Physical Journal C 80, no 9 (septembre 2020): 856. https://doi.org/10.1140/epjc/s10052-020-8407-7

Le LabEx UnivEarthS a contribué à cette recherche par le financement du projet Exploratoire LEAK (E10).