Un nouveau type de dunes stationnaires : les dunes peignes

Dans le cadre du Laboratoire international associé SALADYN(1), entre le CNRS et l’Académie des sciences de Chine, et grâce aux dernières avancées théoriques sur les modes de croissance dunaire, une équipe franco-chinoise (dont les membre de l’équipe E1) vient de révéler l’existence d’un nouveau type de dunes stationnaires. Il s’agit des dunes en forme de peignes qui se déploient sur plus de 2400 km² dans le désert du Kumtagh au nord-ouest de la Chine et qui sont constituées de longues structures linéaires et d’une succession d’indentations se répétant périodiquement sur leur dos d’un seul côté de la crête. Il semble en effet que ces dunes peigne ne peuvent se produire que sous des régimes de vents très particuliers, qui sont ceux notamment rencontrés dans le désert du Kumtagh. Ces résultats ont amené les chercheurs à conclure que les conditions climatiques avaient dû rester stables au cours des 5 derniers millénaires dans cette région reculée d’Asie centrale.

 

Dunes peignes du désert du Kumtagh. © Clément Narteau, IPGP

 

Dans les déserts arides, les dunes sont une précieuse source d’informations sur les régimes des vents qui les ont sculptées. Extraire de telles informations n’est néanmoins pas trivial car l’imbrication des motifs sédimentaires peut aussi bien résulter de variations climatiques que de la dynamique naturelle des dunes.
Les dunes isolées évoluent en recyclant à leurs crêtes le sédiment qui les compose. Elles gardent donc, au travers de leur structure sédimentaire, la mémoire de l’activité éolienne qui leur a donné naissance. Cette mémoire ne porte cependant que sur des périodes de temps limitées qui peuvent être estimées à partir des flux sédimentaires (la vitesse du vent) et de la taille des dunes : plus les vents sont faibles ou plus les dunes sont grande, plus cette période est longue.
Ce qui est vrai à l’échelle d’une dune ne l’est plus à l’échelle des mers de sable qui recouvrent certaines zones désertiques. Ces immenses champs de dunes ont en effet des morphologies qui peuvent résulter d’une dynamique à beaucoup plus long terme, intégrant des cycles climatiques marqués par une alternance de périodes arides et humides. Un des défis actuels de la géomorphologie éolienne est d’être capable de distinguer si les champs de dunes modernes sont à l’équilibre avec les régimes de vents contemporains ou bien s’ils sont un état intermédiaire d’un long processus de développement comprenant différents régimes de vents. L’exercice est d’autant plus difficile que les mers de sable présentent souvent un très large éventail de formes dunaires.

 

Images satellitaires des dunes peignes du désert du Kumtagh datant du 11 novembre 2006 (a) et du 08 janvier 2014 (b). © Google-Earth.

Les dunes en forme de peigne que l’on peut observer sur plus de 2400 km² au sein du désert du Kumtagh, au nord-ouest de la (40°13′ Nord, 92°13′ Ouest), illustrent parfaitement cette problématique. Il s’agit de dunes linéaires formées de longs cordons dunaires s’étirant sur des dizaines de kilomètres, tous orientés dans la même direction et systématiquement indentés, à intervalles réguliers et d’un seul côté de la crête, par des structures secondaires, d’orientation perpendiculaire, qui donnent à l’ensemble cette forme si particulière de peigne. Pour expliquer ce motif, les hypothèses les plus communément admises font toutes intervenir des changements d’orientation des vents susceptibles de segmenter les dunes linéaires.

À partir de mesures de terrain et d’images satellitaires, des chercheurs d’une équipe franco-chinoise(1) ont pu précisément mesurer l’évolution morphologique de ces dunes entre 2006 et 2014 et ainsi montrer que les dunes linéaires s’allongeaient de plus de 15 mètres par an tandis que les indentations migraient plus lentement sur leur dos, à une vitesse d’environ 5 mètres par an.
À l’aide des données de deux stations météorologiques installées entre 2007 et 2009 au cœur du champ de dunes, ils ont alors pu montrer que ces deux objets étaient associés à deux modes de croissance indépendants, capables de s’exprimer simultanément sous les conditions de vents du désert du Kumtagh. Alors qu’une dune linéaire s’allonge en déposant à son extrémité le sédiment qui est transporté le long de la crête, les indentations sont des dunes superposées qui se développent et se propagent de manière oblique sur leur dos. Ces dunes superposées finissent par créer des excroissances sur un seul des flancs de la structure primaire et ainsi donner naissance au motif en peigne.

 

Formation des dunes peignes produite par le modèle numérique ReSCAL : à partir d’une source de sable située sur la gauche, la dune linéaire s’allonge et les dunes superposées se développent de manière oblique sur un de ses flancs. La rose des flux donne les trois directions de vents successivement prises en compte. Les flèches en traits pleins indiquent les directions d’orientation des crêtes des dune linéaire (noir) et des dunes secondaires (rouge) et la flèche en pointillés la direction de migration des dunes secondaires sur le dos de la dune linéaire.

À l’aide d’un modèle numérique de croissance dunaire, les chercheurs ont pu confirmer ce scenario d’évolution et explorer l’ensemble des régimes de vents susceptibles de faire apparaître des dunes similaires. Il s’avère que les dunes peignes ne peuvent s’observer que sous des régimes de vents très particuliers, constitués d’au moins trois types de vent, comme c’est la cas dans le désert du Kumtagh. Ces vents permettent surtout de maintenir l’obliquité entre la direction d’élongation des dunes linéaires et la direction de migration des motifs secondaires se développant sur leur dos.
Cette étude a permis aux chercheurs de conclure que, contrairement aux hypothèses couramment admises, ces dunes peignes étaient des dunes stationnaires satisfaisant au régime de vents contemporain et que, compte tenu de l’ampleur du champ de dunes, les conditions climatiques étaient probablement restées stables au cours des 5 derniers millénaires dans cette région reculée d’Asie centrale.
Un autre enseignement important de cette étude est qu’il est possible d’appréhender la complexité inhérente aux champs de dunes et de remonter aux régimes de vents qui les ont produits. La diversité des champs de dunes sur Terre, mais aussi sur Mars, ouvre donc de nombreuses perspectives d’études, lesquelles devraient apporter de nouvelles contraintes sur le climat à différentes échelles de temps.

 

Note(s):
  1. Les chercheurs de cette équipe sont issus du Key laboratory of desert and desertification (CAREERI, Chine), de l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP / CNRS / Université Paris Diderot / Université La Réunion) et du laboratoire Matière et systèmes complexes (MSC, CNRS / Université Paris Diderot).

Source(s):

Unravelling raked linear dunes to explain the coexistence of bedforms in complex dunefields, Lü Ping, Clément Narteau, Zhibao Dong, Olivier Rozier & Sylvain Courrech du Pont, Nature Communications, 2017, vol. 8, no 14239, doi:10.1038/ncomms14239.

Contact(s):

  • Clément Narteau, IPGP (CNRS, Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité)
    narteau@ipgp.fr, 01 83 95 74 23

 

Source : Actualités du CNRS-INSU

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