Évolution des paysages à l’échelle des décennies grâce à la reconstruction topographique depuis des images d’archives

Une équipe de l’IPGP, d’Université de Paris et du CNRS a développé un algorithme complet permettant d’utiliser les images d’archives aériennes prises depuis un siècle pour suivre l’évolution des paysages à l’échelle de la dizaine d’années, avec une résolution sub-métriques. Cette reconstruction automatique de l’évolution de la topographie au cours du dernier siècle va permettre d’intégrer une dimension historique primordiale dans le suivi de l’érosion, mais aussi des événements climatiques catastrophiques ou de l’urbanisation d’une région.

Carte topographique de la rivière des Remparts, à la Réunion, permettant le suivi de l’évolution du transport sédimentaire. (© IPGP)

Suivre l’évolution des paysages permet de comprendre comment les mécanismes d’érosion façonnent la surface de notre planète et les conséquences géomorphologiques, mais aussi sociétales qu’ils impliquent. Ces processus d’érosion sont en effet à l’origine des glissements de terrain, des larges crues ou encore de la fonte des glaciers. Si l’observation de la Terre depuis l’espace a fait un bond technologique, elle ne permet de documenter ces évolutions que sur les dernières années. Or, la profondeur historique est un élément important pour mieux comprendre l’évolution des surfaces continentales, notamment dans un contexte de changement climatique, où il est important de savoir comment les paysages évoluaient au cours du dernier siècle pour anticiper les évolutions à venir, en intégrant les variabilités interannuelles, les évènements climatiques extrêmes et l’anthropisation croissante des surfaces continentales. 

Aujourd’hui, les données d’imagerie spatiale permettent d’observer la surface de la Terre avec une résolution sub-métrique mais ne permettent pas étudier les processus d’érosion à l’échelle de plusieurs décennies, voire du siècle. En revanche, il existe des archives d’images aériennes issues de nombreuses campagnes qui ont été menées au cours du dernier siècle dans de nombreux pays. Ces données offrent des résolutions décimétriques avec une grande qualité d’image. Cependant, bien qu’elles présentent un intérêt scientifique important, traduire ces images argentiques en données topographiques n’est pas simple. L’étape de numérisation est généralement assurée par les agences gouvernementales, mais n’est pas toujours sans défaut et les données sont parfois altérées (déformation, partie manquante…). Par ailleurs, une fois numérisées, il faut associer ces images à un modèle de caméra qui permet de relier les pixels de l’image aux structures sur le sol. Il y a donc un travail de modélisation de ces capteurs qui doit tenir compte des propriétés de la caméra utilisée lors de la campagne, mais également des altérations liées à la numérisation des planches argentiques.

Enfin, la reconstruction du relief doit être suffisamment précise pour que l’on puisse comparer quantitativement les résultats issus de différentes campagnes sur plusieurs décennies. L’utilisation de ces données demandant de nombreuses étapes manuelles et fastidieuses, elles n’étaient, jusqu’à aujourd’hui, généralement utilisées que pour une comparaison ponctuelle de deux dates par exemple.

La jeune équipe EROSAT du LabEx UnivEarthS de l’Institut de physique du globe de Paris et d’Université de Paris a donc développé un algorithme complet de reconstruction topographique depuis ces images d’archives numérisées afin de produire des séries temporelles de modèles numériques de la topographie sur un siècle. Les auteurs de l’étude publiée le 4 novembre dans la revue IEEE Geoscience and Remote Sensing Magazine ont notamment repensé la manière de reconstruire les modèles de caméra. Ils ont ainsi proposé une nouvelle méthode pour retrouver la géométrie initiale de la photographie numérisée, de manière à repartir de données équivalentes à des images numériques, tout en tenant compte des défauts de la numérisation, mais aussi de la variété des images réparties dans les campagnes aériennes au cours du 20e siècle. De plus ils ont proposé une nouvelle approche permettant de modéliser les capteurs en se servant de points homologues stables au cours du temps de manière à associer les scènes acquises à différentes époques.

Ils ont ainsi abouti à un algorithme totalement automatisé, qui permet, à partir d’images numérisées issues de différentes campagnes au-dessus de la même région, d’aboutir à des modèles numériques de terrain parfaitement alignés, sur plusieurs décennies, et avec des précisions verticales métriques à sub-métriques et des précisions horizontales sub-métriques. Il s’agit de résolutions équivalentes, voir meilleurs que celles offertes par des satellites récents, comme Pléiades à titre de comparaison.

Dans cette première publication, la mise en application de la méthode a été testée et validée sur deux régions présentant des reliefs marqués et soumis à des changements géomorphologiques rapides (les Alpes et La Réunion), démontrant l’intérêt de la méthode pour l’étude de l’érosion et des mouvements de glaciers. Cette nouvelle méthode pourra aussi être appliquée à des études de suivi de l’évolution des paysages, de la végétation, ou même de l’urbanisation d’une région.

Références :

A. Lucas and E. Gayer, “Decennial Geomorphic Transport From Archived Time Series Digital Elevation Models: A Cookbook for Tropical and Alpine Environments,” in IEEE Geoscience and Remote Sensing Magazine, doi:10.1109/MGRS.2021.3121370

Le LabEx UnivEarthS a contribué à cette recherche par le financement du projet Jeune Équipe EROSAT (JE5).

Cet article a initialement été publiée sur le site de l’IPGP.