KM3NeT capte ses premiers neutrinos avec six lignes

A l’issue d’une sortie en mer de trois jours le week-end du 25 janvier 2020, la Collaboration KM3NeT-France, dont fait partie le laboratoire APC, a mis à la mer deux nouvelles lignes de détection. Cette étape conclut la phase de démonstration de ce télescope à neutrinos géant implanté par 2450 m de fond au large de Toulon. Désormais, six lignes sont connectées et envoient leurs données vers le Centre de calcul de l’IN2P3. Les premiers événements enregistrés montrent que l’instrument donne toute satisfaction.

Départ de Toulon pour les deux sphères de mise à l’eau à bord du navire Castor. Image Paschal Coyle CNRS/CPPM

Samedi 25 janvier, toutes les conditions étaient enfin réunies pour se rendre à l’aplomb du site de déploiement du télescope sous-marin KM3NeT. La météo s’annonçait enfin clémente pour le week-end, les bateaux de Foselev et de la Comex étaient disponibles et les autorisations militaires validées. L’équipe du Centre de physique des particules de Marseille (CPPM, CNRS / Aix-Marseille Université) en charge du déploiement du télescope a donc embarqué avec les deux dernières lignes de la Phase 1 du projet sur le Castor, secondé par le Janus pour une traversée de quatre heures jusqu’au site de largage à 40 km de Toulon.

Tous les modules bobinés dans une sphère

Le calme de la traversée n’était pas de trop pour se mettre en condition pour le largage. Car dresser une ligne de 200 m de 18 modules optiques de détection dans le noir des abysses est loin d’être trivial. Tout d’abord, une énorme sphère est immergée et lentement descendue pendant deux heures sur le plancher méditerranéen, rejoignant ainsi les autres lignes déployées au cours de l’été 2019. Cette sphère contient tous les modules consciencieusement bobinés dedans et un socle massif qui maintiendra la ligne captive sur le fond. Un robot télécommandé depuis le navire voisin accompagne sa descente. C’est par son intermédiaire que les pilotes vont connecter les nouveaux capteurs au télescope.

Aussitôt la connexion établie et vérifiée par l’équipe à Terre, le robot débloque la sphère qui s’élève rapidement vers la surface en déroulant le câble et ses modules. C’est l’opération la plus délicate pendant laquelle tout le monde retient son souffle. Mais de mauvaise surprise il n’était pas question ce week-end et l’instrument s’est positionné sans encombre. Un nouveau test de connexion est rapidement venu rassurer tout le monde. « C’est un bel accomplissement » déclare Miles Lindsey Clark, ingénieur de recherche à l’APC et responsable technique de la Collaboration KM3NeT. Ce dernier était à bord du Castor lors du déploiement des lignes : « C’est très satisfaisant de voir que nos efforts tiennent leurs promesses. Cela présage le meilleur pour l’avenir ».

Après l’installation d’une ligne, sa sphère de déploiement remonte vide à la surface. Image Paschal Coyle CNRS/CPPM

Premiers neutrinos détectés avec les six lignes

Preuve que désormais la manœuvre est bien rodée, la seconde ligne a été aussi déployée avec succès et dès lundi, les physiciens pouvaient capter leurs premiers événements avec six lignes opérationnelles. « Avec les six lignes, nous avons déjà capté des neutrinos atmosphériques » annonce Paschal Coyle, directreur de recherche au CPPM et responsable scientifique de la Collaboration KM3NeT. Les neutrinos atmosphériques, ce sont les principales particules que le télescope sous-marin cherchera à détecter et à analyser. Ils sont produits par l’interaction entre des rayons cosmiques et les molécules de l’atmosphère. Ces neutrinos sont quasiment insaisissables par des détecteurs, mais la grande taille du télescope rend leur mise en évidence possible.

A terme, le télescope sur le site français de la Collaboration KM3NeT, dénommé ORCA, comptera 115 lignes. Il sera jumelé avec un second télescope, ARCA, de 230 autres lignes, déployé à 3450 m sous le niveau de la mer aux abords de la Sicile. Cet ensemble qui sera complètement déployé vers 2026 constituera alors le plus grand télescope à neutrinos du genre et sera capable de voir les neutrinos très énergétiques produits directement par les phénomènes cosmiques les plus violents de l’Univers.

KM3NeT, un détecteur multifonctions

Mais il ne s’arrêtera pas là, le télescope offre également la possibilité d’établir des collaborations interdisciplinaires avec les sciences de la Terre et de la mer. En effet, les neutrinos détectés par KM3NeT  pourraient aussi fournir une méthode alternative pour étudier la composition de la Terre. Par ailleurs, les futures unités de calibration de KM3NeT, conçues à l’APC, porteront divers capteurs pour la surveillance des conditions environnementales, transformant le télescope en plateforme d’instrumentation géologique et océanique. En somme, KM3NeT constituera un détecteur multifonctions à la fois tourné vers l’infiniment grand, l’infiniment profond et l’infiniment petit.

Premiers événements captés avec les 6 lignes de KM3NeT/ORCA

Cette approche interdisciplinaire est à la base du projet ARGOS, un projet collaboratif entre l’APC et l’IPGP  soutenu par le LabEx UnivEarthS (Université de Paris). Depuis sa création, l’APC participe amplement à l’effort européen sur les télescopes à neutrinos, initialement dans le cadre de la collaboration ANTARES, et aujourd’hui à travers KM3NeT/ORCA. Outre le projet ARGOS, l’équipe du laboratoire est également impliquée sur de nombreux aspects de l’analyse des données, et est aussi en charge du développement et de la construction des unités de calibration de KM3NeT, la première d’entre elles devant être déployée d’ici la fin de l’année.

La version originale de ce texte a été publiée sur le site de l’Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (IN2P3).