Bourse interdisciplinaire pour l’astronomie multi-messagers
Cet article a été initialement publié sur Europhysics News 51/3 2020.
Gwenhaël de Wasseige, chasseuse de neutrinos, a reçu une subvention du LabEx UnivEarthS afin de financer son projet de recherche sur l’astronomie multi-messagers. Pour Europhysics News, elle nous explique son travaille.
Je suis chercheuse en post-doc (Marie Sklodowska-Curie individual fellow) au Laboratoire AstroParticule et Cosmologie (APC), à l’Université de Paris. Préalablement, j’ai soutenu en 2018 ma thèse de doctorat à la Vrije Universiteit Brussel, sur mes recherches auprès d’IceCube, l’observatoire à neutrinos situé dans la glace du Pôle Sud. J’ai depuis rejoint la collaboration KM3NeT, qui déploie en ce moment trois télescopes à neutrinos dans la mer Méditerranée.
Mais qu’est-ce qu’un neutrino ? Il s’agit d’une particule élémentaire neutre, qui n’interagit que faiblement avec la matière qui nous entoure. Parmi l’ensemble des neutrinos qui existent, ceux qui m’intéressent sont les neutrinos de basses énergies qui ont pu être émis par les explosions cataclysmiques qui ont lieu dans notre Univers. Mon rôle est de comprendre si et comment ce type de neutrinos est produit par ces sources astrophysiques, ainsi qu’interpréter les signaux multi-messagers qui en sont issus, c’est-à-dire non seulement les neutrinos, mais aussi les ondes électromagnétiques ou gravitationnelles également émises.
Mon travail au quotidien
KM3NeT compte deux sous-détecteurs : ARCA, situé en Italie, a été conçu pour la recherche des neutrinos astrophysiques de hautes énergies, tandis qu’ORCA, actuellement en cours de déploiement au large de Toulon, en France, étudie les propriétés des neutrinos, notamment leur hiérarchie de masse. Mon travail consiste à transformer ces deux détecteurs en télescopes de neutrinos de basses énergies. L’objectif est d’améliorer leur sensibilité dans la gamme d’énergies inférieures au TeV, afin d’étendre la partie du flux astrophysique qui peut être captée avec KM3NeT. Cela nécessite : de mieux comprendre les sources de bruits produits dans l’environnement qui entoure les capteurs de KM3NeT, en particulier les signaux créés par les organismes sous-marins ; de développer de nouveaux algorithmes déclencheurs (triggers) afin d’abaisser notre sensibilité en énergie ; et d’optimiser différentes approches statistiques afin d’améliorer la sensibilité de ce signal de basses énergies. J’essaie également de comprendre les différentes sources qui pourraient être à l’origine d’un tel flux de basses énergies, afin d’estimer le signal qui en est émis une fois celui-ci capté par les télescopes à neutrinos.
Qu’est qu’un financement du LabEx UnivEarthS ?
Il y a dix ans, le gouvernement français lance le programme « Investissement d’avenir » pour que le pays se place à la pointe de l’innovation scientifique. Les Laboratoires d’Excellence (LabEx) font partis de ce programme. L’un des objectifs des LabEx est de doter de moyens significatifs les unités de recherche ayant une visibilité internationale et de construire une politique intégrée de recherche, de formation et de valorisation de haut niveau. Le LabEx UnivEarthS constitue l’un des cent projets retenus dans la première vague d’appels d’offre LabEx, et permet de financer des projets prometteurs de chercheurs issus de plusieurs laboratoires parisiens, donc l’APC pour lequel je travaille. J’ai reçu, du LabEx UnivEarthS, une subvention pour un « projet exploratoire » sur l’étude des neutrinos astronomiques de basses énergies. Plus précisément, l’objectif est d’étudier les émissions de neutrinos dans la gamme d’énergies du GeV, issues des éruptions solaires ou des sursauts gamma, ainsi que les neutrinos de l’ordre du MeV, émis par les supernovas à effondrement de cœur de notre galaxie. Grâce à ce financement, je dirige désormais une équipe d’astrophysiciens spécialistes dans ces différents types de sources, ainsi que des chercheurs travaillant au sein des collaborations DUNE et DarkSide, afin d’étudier les synergies possibles en combinant nos observations. Nous cherchons ainsi à déterminer comment des analyses sur plusieurs détecteurs pourraient nous aider à mieux comprendre les sources astrophysiques. Cela est d’autant plus facile que ce financement nous permet d’engager des stagiaires, organiser des ateliers, inviter des chercheurs invités, ou encore de nous rendre à des conférences.
En plus de mes recherches, qu’est-ce que j’apprécie dans mon travail ?
Sans aucun doute, j’apprécie de travailler sur les actions pour favoriser la diversité, aider les scientifiques en début de carrière et communiquer la science.
J’ai de la chance de faire partie de la collaboration KM3NeT, entre autres parce qu’elle fait de réels efforts pour accroître la diversité, non seulement au sein de la collaboration, mais également dans la communauté scientifique en général. J’essaie d’y contribuer de part mon rôle de représentante des scientifiques en début de carrière de KM3NeT. Cela me permet de défendre les intérêts des plus jeunes membres auprès du conseil d’administration, d’aider les nouveaux venus à s’intégrer grâce à un programme de parrainage, et de travailler avec le Comité pour l’égalité, la diversité et l’inclusion de KM3NeT afin d’accueillir tout le monde au sein de notre collaboration.
Je participe aussi activement dans des actions de communication scientifique auprès de divers publics. En plus de donner des conférences ou de développer des ateliers pratiques, j’aime beaucoup mettre en place des concours à grande échelle. Le dernier en date : « Dessine-moi un neutrino », dans lequel les participants doivent dessiner l’idée qu’ils se sont faite d’un neutrino à partir des informations disponibles en ligne sur notre site web. Si vous voulez en apprendre plus sur les neutrinos et comment KM3NeT les détecte, tout en laissant parler votre créativité, n’hésitez pas à participer avant le 30 juin prochain !
Quels conseils je donnerai aux jeunes chercheurs ?
La collaboration est la clé. Je suis convaincue qu’on peut accomplir bien plus grâce à plusieurs personnes aux compétences diverses que ce que l’on peut réaliser tout seul. N’ayez pas peur de laisser votre projet de recherche évoluer hors des sentiers battus. Des résultats intéressants peuvent peut-être vous attendre là où personne n’a jamais regardé.
Gwenhaël de Wasseige remercie Rasa Muller pour ces précieux conseils lors de l’écriture de ce texte.