Le catalogue des étoiles binaires massives de notre galaxie

Notre Voie Lactée regorge d’étoiles massives en couples, dont l’observation et la caractérisation nécessite l’intervention de plusieurs équipes indépendantes sur plusieurs années. La quantité de données élémentaires les concernant – durée de leur orbite, masse des étoiles, et bien plus – tend à se perdre dans la littérature scientifique. Pour faciliter la recherche sur les systèmes binaires X massifs, une équipe de chercheurs du laboratoire APC publie dans Astronomy and Astrophysics un catalogue de systèmes binaires qui non seulement recense leurs caractéristiques actuelles, mais sera aussi capable d’accueillir les résultats des futures observations sur ces couples d’étoiles.

Figure 1: L’objet compact aspire son étoile compagnon, libérant au passage des rayonnements énergétiques. Crédits : ESO/M Kornmesser/L Calçada

Notre galaxie, la Voie Lactée, est composée de gaz, de poussières interstellaires… mais aussi et surtout d’étoiles. Parmi celle-ci, une large majorité est constituée de versions plus petites et légèrement plus froides que notre Soleil. Les étoiles massives (dont la masse est comprise entre 10 et 50 fois celle du Soleil), quant à elles, sont plus rares, mais possèdent néanmoins une caractéristique singulière : elles passent quasiment toutes au moins une partie de leur vie en couple avec une autre étoile.

À un moment précis de leur vie, ces couples peuvent former ce que l’on appelle un système binaire X : après s’être effondrée sur elle-même, l’une des étoiles se transforme en objet compact (soit une étoile à neutrons, soit un trou noir). L’étoile restante est alors aspirée graduellement par la gravitation de cet objet compact, libérant au passage une quantité importante d’énergie sous la forme de rayons X. Étudier ces systèmes nécessite de grands moyens observationnels, car il faut d’une part découvrir leur présence grâce à des télescopes spatiaux spécialisés dans l’imagerie en rayons X, puis les distinguer des nombreuses autres sources de haute énergie présentes dans l’univers.

Ainsi, plusieurs années sont souvent nécessaires afin de mettre en œuvre toutes les observations qui caractériseront complètement un système binaire. Chaque année, de nouvelles mesures sont publiées par des équipes indépendantes dans la littérature scientifique sur les binaires X.

Cependant, ces informations précieuses risquent avec le temps d’être noyées dans le flot continuel des publications. De plus, le dernier catalogue de référence pour les systèmes de binaire X date de 2006, et les nombreuses mesures effectuées depuis n’ont peut-être pas été aussi bien référencées. Ainsi, pour faciliter la recherche sur ces sources, il est donc nécessaire d’avoir facilement accès aussi bien à ces nouvelles données, qu’à celles archivées depuis plusieurs dizaines d’années.

Pour répondre à cette demande, une équipe de chercheurs du laboratoire Astroparticule et Cosmologie (APC, Université Paris-Cité / CNRS), en collaboration avec des chercheurs de l’Institut d’Astrophysique de La Plata, en Argentine, a publié dans la revue Astronomy and Astrophysics un nouveau catalogue qui recense les systèmes binaires X massifs connus dans la Voie Lactée. Plus qu’une mise à jour des données préalablement connues, ce nouveau catalogue recense également des paramètres inédits aux précédentes versions, obtenus par de plus récentes observations. Parmi ces nouvelles données, notons les mesures en rayons X du satellite INTEGRAL, ainsi que les mesures en distances obtenues par le satellite Gaia, qui nous donnent la position de ces systèmes. Ce sont au total 152 systèmes binaire X de notre galaxie qui sont présentés dans ce catalogue.

Figure 2: La position exacte des systèmes binaires au sein de la Voie Lactée (vue du dessus, Soleil au centre) est connue grâce aux mesures de distances du satellite Gaia. Tiré de Fortin et al. (2023). Crédits image de fond : NASA/JPL-Caltech/R. Hurt (SSC/Caltech)

Conçu comme un outil à la disposition de la communauté scientifique, il permet d’accéder rapidement à l’ensemble des caractéristiques spécifiques et connues des systèmes binaires, essentielles à leur étude. Cela inclut : la position du système dans la Voie lactée, la durée de son orbite et son ellipticité, la masse des étoiles, la vitesse de rotation de l’objet compact sur lui-même, ou encore les multiples détections aux différentes longueurs d’onde.

De plus, contrairement aux anciens catalogues similaires, cette dernière version est également hébergée en ligne, et ce de manière indépendante, open-source et participative : les informations qui s’y trouvent peuvent être librement exploités par la communauté scientifique, ainsi qu’être régulièrement mises à jour au fur et à mesure des nouvelles données publiées (cela a déjà commencé).

Afin de constituer ce catalogue d’étoiles, les chercheurs ont développé des moyens automatisés pour retracer l’historique observationnel des systèmes binaires à travers la littérature scientifique. Mais les possibilités de data-mining automatisables ayant leurs limites, un long travail manuel de recherche bibliographique sur chaque couple d’étoile a aussi été nécessaire, notamment pour s’assurer de retrouver les études qui sont à l’origine des mesures compilées.

Si ce travail est avant tout à destination de la communauté scientifique, celui-ci renferme aussi son propre lot de résultats : depuis 15 ans, les nouveaux moyens observationnels ont permis de révéler que la population des systèmes binaires X massifs appartenant à la catégorie des systèmes « supergéants » (c’est-à-dire pour lesquels l’étoile compagnon a évolué en… supergéante) était bien plus importante qu’on ne le pensait initialement. En effet, au début des années 2000, cette catégorie de binaire X était estimée largement minoritaire par rapport aux systèmes dits « Be » (pour lesquels l’étoile compagnon tourne rapidement sur elle-même) bien plus fréquent : on observait à l’époque moins d’un système supergéant pour dix systèmes Be.

Or, ce dernier recensement a confirmé que les systèmes supergéants constituent en fait un tiers des systèmes binaires X massifs connus dans notre galaxie, tandis que les systèmes Be ne représente « que » la moitié du catalogue. Ce travail de catalogage permet ainsi de mettre en lumière certains biais que l’on pouvait avoir sur les binaires X massives.

À travers cette étude, l’équipe à l’initiative de ce projet espère proposer un outil performant et pérenne auprès de la communauté scientifique, donnant au plus grand nombre un aperçu précis de l’état actuel de la population des binaires X connus. Il s’agit d’une condition nécessaire pour prédire l’évolution future de ces systèmes et comprendre comment elles peuvent finir leur vie en fusionnant dans une gerbe d’ondes gravitationnelles.

Ces recherches ont fait l’objet d’un financement par le Laboratoire d’Excellence UnivEarthS (Labex UnivEarthS), programme de recherche dédié au développement de projets interdisciplinaires dans les domaines des sciences de la Terre et de la physique de l’Univers.

Références :
Fortin, Francis, Federico García, Adolfo Simaz Bunzel, et Sylvain Chaty. « A catalogue of high-mass X-ray binaries in the Galaxy: from the INTEGRAL to the Gaia era, ». Astronomy & Astrophysics 671 (mars 2023): A149. https://doi.org/10.1051/0004-6361/202245236.
Site web du catalogue : https://binary-revolution.github.io/HMXBwebcat/