Formation de la Lune à basse température

Objet céleste le plus proche et le plus visible de la Terre, la Lune a toujours fasciné l’être humain. Pour autant, des questions subsistent quant à son origine. Une équipe de chercheurs de l’institut de physique du globe de Paris, membres de l’équipe UnivEarthS I6 : De la poussière aux planètes, apporte de nouveaux éléments de réponse concernant sa formation.

 

La théorie dominante actuelle établit que la Lune serait composée de matériaux éjectés de la Terre (en particulier de son manteau, la zone rocheuse qui s’étend jusqu’à 2890 km sous nos pieds) suite à un impact “géant” avec un corps de la taille de la planète Mars. Cette théorie pourrait notamment expliquer pourquoi les roches volcaniques terrestres et lunaires partagent de nombreuses similitudes en termes de compositions chimiques.

 

Les deux astres présentent néanmoins de nombreuses disparités ; l’absence d’océans sur la Lune témoigne de l’extrême appauvrissement des roches lunaires en éléments volatils tels que l’hydrogène (qui forme de l’eau – H2O – lorsqu’il est combiné avec de l’oxygène). Malgré cette observation fondamentale, la communauté scientifique continue de se questionner sur la manière dont la Lune est devenue si aride.

 

Dans ce cadre, les chercheurs de l’IPGP ont mesuré, dans des roches lunaires ramenées des missions Apollo, de légères variations de la teneur en isotopes du chrome (Cr), un élément devenant volatil dans des conditions oxydantes. Les isotopes sont des formes différentes d’un même élément chimique avec une masse légèrement différente, qui peuvent se séparer ou se fractionner selon les matériaux, tels que le liquide et le gaz. La particularité du chrome est qu’il forme plusieurs espèces chimiques en fonction du taux d’oxygène contenu dans l’atmosphère.

 

Selon la théorie de l’impact géant et les modèles numériques les plus récents, le matériel ayant formé la Lune aurait dû être vaporisé dans l’espace suite à une évaporation à très haute température (> 4000 °C) due à l’impact. Dans une atmosphère réduite, le résidu de vaporisation devrait être enrichi en isotopes lourds du Cr, tandis que les isotopes légers auraient dû se perdre dans la phase gazeuse puis dans l’espace. Or, l’équipe de chercheurs de l’IPGP révèle aujourd’hui que les isotopes du chrome se sont fractionnés dans la direction opposée, témoignant ainsi d’une atmosphère oxydante lors de la formation de la Lune. Cette propriété permet de mettre en évidence, pour la première fois, que les températures devaient être beaucoup plus basses (< 1600 °C) pour créer une telle signature isotopique.

 

Ainsi, cette étude révèle que la Lune avait déjà été formée et refroidie lorsque des substances volatiles ont été perdues, très probablement lors du dégazage d’un océan de magma à sa surface. La masse de la Lune, bien plus faible que celle de la Terre, signifie que sa gravité (qui représente 1/6 de la Terre à sa surface) ne peut retenir une atmosphère chaude, perdant ainsi son chrome et potentiellement son eau.

 

En savoir plus :

Sossi, Moynier, Van Zuilen, Volatile loss following cooling and accretion of the Moon revealed by chromium isotopes, PNAS, doi/10.1073/pnas.1809060115